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L’ÉDITO


Fin de vacances

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Un beau jour où, élaborant la trame d’une prochaine pièce, je m’interrogeais sur la notion d’utopie, il m’arriva, comme l’illumination soudaine qui permit à Claudel de rencontrer Dieu derrière le pilier d’une église, de découvrir comme une évidence que la première œuvre à réaliser dans la construction de la cité idéale serait l’abolition... des vacances scolaires.

Il est probable qu’à cette ligne, bon nombre d’enseignants ou de parents d’élèves se décident déjà à refermer cette plaquette, mais je préfère les imaginer piqués par la curiosité, avec, je peux leur accorder, un sentiment d’inquiétude mêlé de commisération : « Chotteau doit avoir besoin de vacances ».

Eh bien non ! En tout cas pas de celles-là que l’on inflige à nos gamins dès leurs premières années à l’école, même maternelle, quand on leur fait insidieusement rentrer dans leurs petites têtes qu’apprendre, découvrir, savoir, nécessite un repos de l’esprit, ce qui sous-entend bien, hélas, que l’activité intellectuelle, culturelle, est un « travail », au sens étymologique de ce mot qui signifiait jadis « instrument de torture ».

Lorsque l’on inventa ce poison des vacances, on prit soin de mettre le mot au pluriel pour camoufler ce qu’il signifiait au singulier. La vacance est le vide, la vacuité. Et c’est une chose dangereuse ! Le trône ou le pouvoir est en vacance et voilà l’insurrection ! Vacance du Saint-Siège et voilà que vacille toute l’Église catholique ! Vacance de l’être aimé et voilà la déprime : « un seul être vous manque et tout est dépeuplé » déplorait Lamartine !

Que Charlemagne ou Jules Ferry nous pardonnent ! Nous qui sommes censés “élever” nos élèves, nous les abandonnons huit à neuf semaines d’affilée pour les retrouver couchés. Vautrés. Sur le sable de nos plages.. Le temps de se ressourcer, d’aller au théâtre ? Les théâtres sont fermés pendant la période des vacances ! De lire ? - Sous les pavés la plage espérait-on en 68 aujourd’hui les pavés sont effectivement sur la plage : ils font six cents pages dont on ne lit que trente avant de s’en servir définitivement comme oreillers.

Mon école à moi serait ouverte 365 jours par an, elle serait jolie, pleine d’arbres et d’oiseaux, de peintures, de sculptures, elle aurait sa salle de spectacle, sa piscine, ses terrains de sports. On y viendrait vivre les plus belles années de sa vie, on s’ennuierait de la quitter. Ce qu’on appelait autrefois cours, réduits à trois heures par jour, seraient assurés par des enseignants travaillant en équipe et se partageant leur temps. On prendrait, bien sûr, quelques congés (pensée pour l’industrie hôtelière), mais à la carte, puisqu’il n’y aurait point de programme. Sinon celui de grandir, de s’élever, de se cultiver (tout cela dit la même chose), s’enrichissant jour après jour dans la joie d’une connaissance nouvelle...

Je veux désormais militer pour l’instauration de vacances perpétuelles. La semaine scolaire de quatre jours nous annonce-t-on ? Mais pourquoi pas trois ou deux pendant qu’on y est ? L’entreprise d’acculturation se développe comme une holding. Défaite de la pensée. Je prône donc la semaine de six jours de vacances à l’école, laissant le septième pour le Seigneur qui n’aura que celui-là pour se reposer, à supposer qu’il en ait besoin.
Ces vacances-là ressemblent à celles qui permirent à Alexander Fleming de découvrir la pénicilline ou à un Américain du nom de Darrow qui se baladait en villégiature dans les rues d’Atlantic City d’inventer le Monopoly. Car elles sont de celles qui, exigeant le cerveau disponible, éveillent au monde et nous ouvrent aux autres ; elles nous font sortir l’esprit de ses cases et nos corps de leurs casemates. Elles sont l’échappée belle des habitudes sclérosantes, elles sont aussi sources de plaisir...

Le théâtre que nous pratiquons, que nous aimons, voudrait leur ressembler. Notre nature a horreur du vide. Horreur de cette vacuité que dénonce, mais organise en même temps, l’odieux Réformateur, le personnage titre de cette pièce comi-tragique de Thomas Bernhard qui sera, en février, la création de La Virgule. Aussi vous proposons-nous de nous accompagner pour une nouvelle et très belle saison, riche et motivante.. comme une fin de vacance.

C’est la rentrée ? Bonnes vacances à tous !

Jean-Marc Chotteau, 31 août 2008